L’Apprenti ou la consécration d’une politique spectacle

Le moment où Donald Trump prit ses fonctions, le 20 janvier 2017, restera comme le couronnement de la carrière d’un homme d’affaires que rien ne destinait à présider les Etats-Unis. Passé la sidération de l’élection, ne reste que le sentiment d’un épouvantable gâchis. Non pas que la candidate démocrate, Hillary Clinton, aurait fait des merveilles mais l’impression d’un retour en arrière pour ce pays – que l’on aime adorer ou détester – domine.

Pourtant, ce sont les américains qui ont choisis de lier leur destin à Trump pour les quatre prochaines années. Comment expliquer un choix aussi surprenant autrement que par la défaite d’une certaine Amérique face à une autre, plus cachée, moins visible et cependant en colère. Difficile aujourd’hui d’en ignorer l’existence tant elle semble se reconnaitre dans son nouveau champion. Mais Trump n’est pas l’Amérique et la résistance s’organise.

En témoigne le livre Fire and Fury ou Le Feu et la Fureur en français récemment paru aux Etats-Unis et disponible en France.[1] On y découvre le quotidien d’une Maison Blanche mal préparée à l’éventualité d’une victoire de Trump et dont l’obsession est de rendre ce président inattendu enfin compréhensible aux yeux du monde. Le lecteur, au fur et à mesure des chapitres, se rend compte de la vacuité idéologique d’un homme que la mécanique du pouvoir n’intéresse pas. Seul compte la marque Trump. Pendant un temps vendeur de steaks, c’est maintenant l’Amérique d’autrefois qu’il veut vendre aux américains eux-mêmes. Si l’histoire a mal commencé pour le 45ème président des Etats-Unis, il est possible que la fin nous échappe à lui comme à nous.

POTUS :  

Cinq lettres pour un acronyme connu de tous parmi le personnel de la Maison Blanche. Sur ce sigle facilement reconnaissable trône l’aigle américain affichant un regard sévère. Le même que celui du président lorsqu’il est contrarié. Et contrarié, il l’est très souvent comme le rapporte l’auteur du livre. POTUS ne supporterait pas la contradiction même lorsqu’elle lui est dictée par la réalité des faits.

Les juges refusent de valider le Travel Ban, première mesure scélérate de son administration et qui fait honte à la tradition d’accueil des USA ? Alors ce sont des démocrates de la pire espèce et de gauche qui plus est. Porté par Steve Bannon, opportuniste d’extrême droite converti à Trump que parce qu’il lui paraît être le meilleur moyen de faire triompher ses vues protectionnistes et isolationnistes sur la scène de la politique nationale américaine, ce texte a horrifié le monde à commencer par les américains. Mal ficelée et hâtivement préparée, la mesure échoue sur le bureau d’un juge trop fin connaisseur de la constitution pour ne pas y voir une rupture dans la tradition d’égalité chère aux pères fondateurs.

Informé, POTUS enrage et il faut vite lui donner l’occasion de briller à nouveau. Entre en scène, Jared Kushner, le gendre de cet encombrant beau-père devenu par la force de choses l’homme le plus puissant du monde. Ce jeune homme de 37 ans, marié à l’élégante Ivanka, fille préférée du patriarche Trump, joue déjà le rôle de conseiller au sein du bureau ovale. Il a l’oreille de Donald qui se méfie pourtant de Jared aux dires de Bannon qui a tout intérêt à voir échouer le jeune prodige, moins à droite que lui. Il y a comme une atmosphère de coups tordus dans les allées du pouvoir et Kushner qui apparait à l’establishment de Washington comme le plus modéré du clan organise la visite du président mexicain, premier chef d’état étranger à être reçu par le président.

Pour les deux pays, ce sera l’occasion de dépasser le stade des invectives et de travailler ensemble à une protection des frontières efficace pense Jared Kushner. Trump donne son accord et les préparatifs sont en cours lorsque dans un tweet ravageur, ce dernier fait mine de soumettre la venue de son homologue mexicain au financement du mur. Cette vieille rengaine de campagne rend furieux le pays voisin et la visite est annulée. C’est un échec de la méthode Kushner. Trump est décidemment incontrôlable pense celui qui n’aura dès lors de cesse d’orienter le président vers une diplomatie raisonnée.

Cette propension à changer d’avis en fonction des circonstances politiques démontre un certain instinct de Trump pour flatter son électorat et un tact certain pour la polémique. Si Trump peut être habile politiquement, il est dénué de toute grandeur de vue. Mieux vaut faire capoter l’initiative intelligente de son beau-fils et paraitre tenir ses promesses de fermeté que de régler une fois pour toute la question des frontières. Trump n’est que polémique et celle-ci s’embarrasse peu d’une politique de longue durée qui portera ses fruits trop tard. POTUS est le meilleur. La preuve, il est président.

Make America Great Again :

A l’étranger, Trump est un ogre dans la plus pure tradition du croque-mitaine : il fait peur aux enfants et à leurs parents qui y voient une ombre inquiétante. Si certains parlent de fascisme, ce dernier par essence doctrinaire et idéologue. La radicalité de son projet suppose un chef charismatique pour faire triompher sa vision au sein d’une société au début réticente. Les circonstances font le reste autant que les crises et le ressentiment. Hitler est l’accident de l’histoire rendu possible parce que l’Allemagne doutait d’elle-même autant que de son avenir.

Mais la démocratie américaine telle qu’on la connait n’a rien à voir avec la république de Weimar : elle n’est pas le produit d’une défaite et Obama ne restera pas dans l’histoire comme un obscur chancelier. Et pourtant, il y a comme une envie de revanche qui anime les couches populaires d’une pyramide sociale inégalitaire. Laborieuse par nature et résolument attachée à la notion de mérite, l’Amérique de Trump veut triompher à nouveau. Et tant pis, s’il faut être dur avec les mexicains, les chinois et le reste du monde. Seul compte le résultat. Et aux Etats-Unis, la marque Trump est synonyme de résultat. Ce qui est faux, bien entendu.

Les ingrédients semblaient donc réunis en 2016 pour que la campagne électorale accouche d’un nouveau populisme Made in Tea Party, conservateur et rétrograde. Ne manquait qu’un chef digne de ce nom pour que les républicains retournent en grâce auprès de l’opinion publique américaine sans pour autant espérer gagner face à l’ancienne Secrétaire d’Etat d’Obama destinée à lui succéder. Mais Trump pulvérise les primaires, le parti et ses chefs, et obtient l’investiture presque seul contre tous. Autre anomalie qui l’éloigne un peu plus de la caricature que l’on voudrait bien en faire : Trump n’est pas un idéologue. Il n’a pas construit sa carrière au service d’un projet politique aussi fanatique soit-il. Il n’est pas porteur d’une vision du monde ce qui éloigne un peu plus le spectre d’un fascisme moderne.

En revanche il a tout du démagogue prêt à tout pour lui-même et ses intérêts propres. C’est ce cynisme sans foi ni loi qui triomphe et inquiète. Dans le nouveau monde, plus rien n’a de sens et la vérité est une notion toute relative comme en témoignent les fake news, ces étranges contre-vérités déguisées en affirmations que le président des Etats-Unis propage allégrement via les réseaux sociaux.[2] Il a si peu les attitudes du tyran, hormis la nature capricieuse, qu’on lui conteste en permanence la capacité à diriger.

Le fascisme est un vieux cauchemar et personne ne croit Trump capable de prendre le pays en otage pour en faire une dictature totalitaire. Question d’envergure. Mais de quoi Trump et son slogan de campagne sont-ils le symptôme ? Quelle est l’essence du trumpisme politique ? La réponse peut donner le vertige et se développe tout au long d’un récit rythmé par les faillites de 14 mois d’une présidence chaotique. Rien.

Le populisme du néant :

Dans un monde en proie aux changements les plus soudains et manifestes qu’aura connu l’épopée humaine, nous nous sentons petits et diminués par le poids de nos fautes. Le changement climatique est la preuve terrible et inéluctable que nous sommes une espèce périssable. Les inégalités, de plus en plus grandes entre nous, n’auront pas disparues à la faveur du progrès et de la croissance, ces anciens totems aujourd’hui remis en cause. La déception est la hauteur de ce que fut notre espérance et nous sommes désormais dans un état second.

Indécis quant à la marche à suivre. Nous aimerions comprendre ce qui n’a pas marché. Nous sommes comme des enfants un peu perdus et désorientés. Et qu’est-ce qui rassure plus que tout un enfant effrayé ? Une belle histoire. Un récit de conquêtes et de succès. Une épopée triomphante ou la force de la volonté transforme l’homme en héros. Une mélodie particulièrement agréable aux oreilles américaines pour lesquelles l’individualisme forcené est une qualité. Et Trump n’existe que pour lui-même. Il ne sait vendre que son succès personnel à coup de « tremendous » et « amazing », ses adjectifs favoris pourvu qu’ils se rapportent à lui. « Ce que j’ai fait pour moi, je le ferai pour vous », clame-t-il.[3]

Et ce faisant, il fait fi de tout projet de société, de toute politique cohérente qui rendrait les américains fiers d’eux-mêmes. Make America Great Again ou l’Amérique rendue à elle-même n’équivaut à rien de concret. D’où les multiples erreurs et approximations du candidat, les revirements politique d’un homme divorcé désormais en faveur de l’avortement, les provocations multiples vis-à-vis d’une Corée du Nord en voie de nucléarisation et l’indécision chronique d’une Maison Blanche en proie au chaos. Le président se fiche des conséquences tant qu’importe sa stature personnelle. C’est pourquoi, il ne supporte par les critiques et vomit les journalistes dans ce qui parait être une négation de la liberté de la presse.

Trump est un formidable produit marketing apparu au pire moment pour une société américaine doutant d’elle-même et c’est avec le charme de la facilité qu’elle s’est donnée à celui qui lui promettait le plus, c’est-à-dire pas grand-chose. Le populisme du néant repose sur notre égarement collectif, sur notre incompréhension et sur notre incapacité à nous rassurer tant les défis nous paraissent insurmontables. Trump et son cynisme qui confine au nihilisme sont peut-être la première fissure dans un système de pensée hérité du 20ème siècle et inadapté aux enjeux actuels. Plus incompétent que dangereux, il a l’air aussi perdu que nous dans les méandres de son propre pouvoir.

Sauf que lui ne doute pas.


[1] Wolff, M. (2018). Le Feu et la Fureur Trump à la Maison Blanche.

[2] Stein, A. (2017). Toute la vérité, rien que la (post)vérité. Idées Hautes.

[3] Wolff, M. Ibid.

Un commentaire sur “L’Apprenti ou la consécration d’une politique spectacle

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *